En attendant Robert Capa, Susana Fortes, Héloïse d’Ormesson (vient de paraître chez 10/18 en mars dernier)
La Capitana, Elsa Osorio, éditions Métailié
Une nouvelle fois, je vais vous parler de deux
livres. Il s’agit d’En attendant Robert
Capa et de La Capitana, tout deux
écrits par des auteurs hispanophones.
En 1935, Gerta Pohorylle, Juive allemande, fuit
son pays pour Paris où elle rencontre André Friedmann, Hongrois antifasciste.
Photographe passionné, il l’initie à son art. Tous les deux s’inventent bientôt
des identités américaines et deviennent Robert Capa et Gerda Taro. Engagés tous
les deux, ils partent photographier les atrocités de la guerre civile en
Espagne (Vous l’avez deviné, nous parlons d’En
attendant Robert Capa).
Il est des vies que l’on ne voit qu’au cinéma ou
qui n’existent que dans nos romans favoris. Celle de Mika, Micaela Feldman de
Etchebéhère (1902-1992) qui a réellement vécu, fait partie de celles-là. Cela
semble tellement extraordinaire que ça en devient impossible et pourtant… Née
en Patagonie, très tôt intéressée par la politique ou plutôt devrais-je dire
par le sort de ses prochains, elle n’aura de cesse de parcourir le monde pour
lutter contre les injustices et les totalitarismes. Ainsi de Paris à Berlin, en
passant par l’Espagne, elle se trouvera là où il fallait être pour assister et
tenter d’empêcher l’inéluctable marche de l’histoire dans les années 30 (La Capitana).
« Ouais super, t’as pas d’autres sujets plus
plombant encore à nous proposer », me direz-vous. Pas du tout. Ce sont
deux fabuleux livres.
Il y a longtemps que je voulais vous parler du
Susana Fortes. Je l’ai lu il y a quelques temps, j’en ai gardé une très très
forte impression et un souvenir très fort. Je l’avoue ce ne fut pas simple. J’ai
bien failli passer à côté. J’ai eu beaucoup de mal à entrer dedans. Je ne sais
pas ce qu’il se passait, le style n’était pas forcément compliqué, la narration
non plus, mais je restais en dehors. Puis tout à coup, ça s’est déclenché. Je
ne sais plus à quel moment, ni pourquoi, mais d’un coup j’étais dedans. Chaque
mot raisonnait fortement en moi, le style qui me semblait un peu pauvre au
début me paraissait totalement adéquat, chaque mot faisait sens, tout s’enchaînait
parfaitement, ça coulait de source, pas un mot de trop, parfait. À partir de ce
moment j’ai été happé par cette histoire. J’aimais déjà Capa, son œuvre, son
courage. Il a quand même couvert la plupart des conflits du xxe siècle et disait quelque
chose comme « si la photo est floue c’est que le photographe n’est pas
assez près ». Bien sûr, Robert, en plein débarquement sur les plages de
Normandie on va se rapprocher pour prendre la mitrailleuse allemande en gros
plan.
J’ai découvert son histoire d’amour avec cet autre
grand photographe quelque peu éclipsé par Capa. Une histoire magnifique,
passionnelle, fusionnelle en amour comme dans le travail, à tel point que
certaines photos de Gerda seront attribuées à tort à Capa. Ils furent militants
et pacifistes à leur manière en témoignant le plus fidèlement possible de la
cruauté de cette guerre. On comprend mieux avec ce livre cette obsession quasi
suicidaire à vouloir témoigner de l’horreur au péril de sa vie. Un fantôme en
peine errant sur les champs de batailles.
Aussi, lorsque j’ai commencé La Capitana, immédiatement ce livre a fait écho à celui dont je
viens de vous parler. L’histoire des deux livres se déroule quasi aux mêmes
endroits. Les auteurs, comme je vous le disais, sont deux femmes et en plus
hispanophones, l’Espagne pour Susana Fortes et l’Argentine pour Elsa Osorio.
Les deux histoires parlent de personnages ayant vraiment vécus. Les deux
parlent de la même période (la guerre d’Espagne).
À partir des carnets de notes de Mika et de
rencontres avec les gens qui l’ont connue, ce roman esquisse le portrait de
cette inlassable militante pour l’égalité, la justice et la liberté. Là aussi
une magnifique histoire d’amour, traversant les plaines d’Amérique du Sud, le
jardin du Luxembourg de Paris et le Berlin secoué par les grèves et les
manifestations avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Encore un couple de
militant, mais eux de façon plus politisée.
La narration du livre est très originale puisqu’au
récit de la vie de Mika, soit à la première personne, soit par une militante l’ayant
côtoyée, s’intercale la voix de l’auteur, Elsa Osorio qui interpelle le lecteur
et Mika. C’est très original et très intéressant puisqu’elle pose des questions
à Mika, décédée à présent, qui resteront sans réponses. Ces interpellations
éclairent également la démarche de l’auteur, elle nous y explique comment elle
a fait ce livre, les impasses et les blancs laissés par les carnets de Mika et
ce qu’elle a dû romancer.
Deux livres passionnants.
LUI
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